«Paradis» est un terme souvent utilisé pour décrire une représentation idyllique de paysages côtiers immaculés, dépourvus de toute présence locale, presque immobiles dans le temps, en attente d’une consommation étrangère. Depuis l'invasion coloniale européenne des Caraïbes, les termes «paradis» et «paradisiaque» ont été associés à la région en raison de son climat et de ses écosystèmes. Cette formule est souvent utilisée comme un outil stratégique exploité par l'industrie du tourisme, une industrie largement financée par le développement européen et nord-américain pour promouvoir un récit colonial des Caraïbes. L'industrie du tourisme dans les Caraïbes se préoccupe alors de recréer un paradis pour le visiteur, au prix de l'exploitation des paysages et des populations locales par la servitude, l'austérité et l'expropriation de leurs terres pour des développements côtiers.
Paraíso Maldito est une exposition et un programme virtuel qui examine le tourisme et son rôle dans le maintien et la perpétuation de ces récits coloniaux qui entravent le développement économique et affectent profondément les réalités sociales et politiques de la région des Caraïbes. En examinant et en contextualisant les réalités vécues qui affectent les Caraïbes, de l'expansion de la spoliation des terres aux luttes sociopolitiques à travers l'austérité et à la violence raciale et sexiste vécue, cette exposition présente les Caraïbes non comme une idylle mais plutôt comme une région affligée qui vit la colonisation et l'empire à travers l'industrie du tourisme.
Cette exposition s'inspire des écrits décoloniaux de Frantz Fanon dans Les Damnés de la Terre, où Fanon observe les effets déshumanisants de la colonisation, ainsi que des textes de Derek Walcott qui dénoncent et contestent cet arasement identitaire des Caraïbes par le biais du tourisme. Le tourisme est alors considéré comme une pratique qui favorise la déshumanisation, la dépossession et l'exploitation de ceux qui naissent, vivent et meurent dans les Caraïbes.
-Bettina Pérez Martínez, commissaire
Bettina Pérez Martínez est une commissaire, historienne de l’art et chercheuse portoricaine établie à Montréal, au Canada. Ses intérêts de recherche portent sur l'identité caribéenne, la diaspora et les pratiques de création de lieux, les études décoloniales et les politiques sur l'écologie et le changement climatique dans la région. Elle est boursière Bridging the Divides, une initiative financée par la Fondation Mellon et organisée par le Center for Puerto Rican Studies. Elle est titulaire d’une maîtrise en histoire de l’art de l’Université Concordia, à Montréal, Québec et d’un baccalauréat en gravure et en histoire de l’art de la State University of New York, à Purchase, New York.