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Livia Daza-Paris, The Witness at the Boundary Layer, 2019.

Intervention in situ à Buffalo Mountain, Banff Center for the Arts, Canada.
Documents de la CIA récemment déclassifiés sur l'ingérence des États-Unis au Venezuela des années 1960.
Film photographique 35 mm développé au caffénol et imprimé à la main sur du papier photographique, tronc d'arbre tombé au sol.

L'ARBRE BLESSÉ
ÉVÉNEMENTS

Vernissage

Jeudi 14 Septembre 2023

De 17h30 à 22h

à la SBC galerie d'art contemporain

Gratuit, sans réservation 

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Le vernissage de l'exposition concorde avec l'événement de la Rentrée du Belgo!

Venez découvrir les expositions du Belgo en une soirée riche en découvertes!

Visite guidée

Vendredi 29 Septembre 2023 

De 17h30 à 18h30

Gratuit, sans réservation

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Venez découvrir l'exposition en compagnie de la commissaire, Nuria Carton de Grammont.
Ce moment sera aussi l'occasion d'échanger et de poser vos questions sur l'exposition et le travail de l'artiste. 

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Livia Daza-Paris​​

14.09.2023 - 28.10.2023

Commissariée par Nuria Carton de Grammont

Ils disent qu’ils vivent dans ton regard maintenant.
Soutiens-les avec tes yeux, avec tes mots;
soutiens-les avec ta vie, pour qu’ils ne se perdent pas,
pour qu’ils ne tombent pas.
Écoute, écoute; une autre voix chante.

 

Daniel Viglietti,
Une autre voix chante
(1)


Tes pas ont des empreintes fatiguées, mais même si la
rivière est très douce petit à petit ils font face à la mer

 

Alí Primera,
Chanson douce pour un peuple courageux
(2)

L’arbre blessé retrace la méthode d’investigation forensique de l’artiste Livia Daza-Paris qui reconnaît le plus-qu’humain comme témoin de l’histoire non officielle et de la violence d’État dans le cadre de la disparition de son père, Iván Daza, pour des raisons politiques, pendant la guerre froide au Venezuela dans les années soixante.


L’exposition propose un récit criminologique tissé sous la notion d’attunement (3) entendue comme une poétique investigative guidée par la capacité d’écoute profonde et de synchronisation des entités humaines et plus qu’humaines (arbres, roches, la terre, les rivières, l’océan, etc.). Ces éléments sont dotés d’un potentiel émancipateur et d’agencement politique leur permettant de participer à des enquêtes non-juridiques concernant la violence d’État. La pratique de Daza-Paris résulte d’une recherche extensive réalisée à partir d’archives familiales, des documents déclassifiés du National Archives and Records Administration (NARA) aux États Unis et d’un travail de terrain mené avec des campesinos (4) du village de Cocorote dans l’État de Lara où à lieu le 23 janvier de 1966 l’embuscade contre son père et d’autres militants communistes appartenant aux Forces Armées de Libération National (FALN). À travers de ces sources, Daza-Paris élabore un contre-récit qui propose un nouveau cadre interprétatif de l’histoire officielle concernant la politique interventionniste des États-Unis au Venezuela et de manière plus large en Amérique Latine.

En cherchant des renseignements qui pourraient la guider à trouver des réponses sur l’endroit où se trouve la dépouille de son père, en 2015 Daza-Paris se rend à la National Archives and Records Administration (NARA) à Washington DC et dans le Maryland. Les renseignements trouvés dans les bibliothèques montrent la correspondance diplomatique américaine sur les
négociations dans la vente de matériel militaire au gouvernement du Venezuela pendant le mandat présidentiel de Raúl Leoni, entreprises quelques mois avant la disparition du père de l’artiste. Dans Témoin aux couches limitrophes (2019-23), la symbiose entre l’archive et la matière végétale positionne la violence comme une expérience qui s’étend au-delà de l’humain en affectant d’autres communautés, écosystèmes et formes d’existence avec qui nous cohabitons dans le monde
(5). La bryophytes terrestres (la mousse) intervient dans l’histoire pour décentraliser les limites du politique à l’ère de l’anthropocène et restituer la mémoire à travers le rituel du deuil. Dans la vidéo-performance Témoignage V : L’enterrement de mousse (2019-23), Daza-Paris inhume dans la forêt la dernière image de son père vraisemblablement prise par les forces armées vénézuéliennes qu’elle reçoit par l’entremise d’un ami journaliste lorsqu’elle se trouve dans une résidence artistique au cours du printemps 2019 à Banff.


Pour Daza-Paris, les archives récemment déclassifiées corroborent également l’expérience directe et le témoignage des campesinos de Cocorote, ainsi que l’étendue des interventions secrètes américaines dans la région, marqués par la présence de l’École militaire des Amériques basée au Panama depuis les années quarante. En se réveillant d’un rêve prémonitoire - un attunement, dans ses propres mots - elle voyage au Venezuela en 2012 pour rencontrer les campesinos, dont Solano Fonseca, qui l’aide à reconstituer l’embuscade et l’endroit où elle a possiblement eu lieu. Adieux (pour les retours…) (2012-22), est une marche qui retrace la juxtaposition des récits archivistiques et ethnographiques mettant en évidence la crise des valeurs référentielle de l’histoire face aux formes d’interprétation et des connaissances collectives du territoire. Les cicatrices laissées par les balles ayant percuté les arbres de la forêt, des ceiba pentandra (6), matérialisent les récits partagés par les campesinos et les possibilités sémiotiques de la nature.

Ayant perdu son père à l’âge de un an et en absence d’images en sa compagnie, Daza-Paris réalise Mon album de famille (2020-23) par l’entremise d’un collage de dix photographies réalisées avec l’aide d’un numériseur. La main présente dans le cadre ne cache pas le dispositif mécanique ni le poids d’une histoire de famille qui se réinvente sous le geste répétitif et anodin de la machine. Dans la fragmentation de l’espace, un glissement de sens prend forme : le père souriant en costume de guérillero (7), les poses agiles de la jeune fille, la mère et d’autres membres de la famille se perpétuent dans un nouvel espace symbolique. En gardant des moments qui n’ont jamais existé mais qui auraient dû être, l’album représente un espace fondateur pour recréer la mémoire affective. Tandis que L’arbre blessé. Actes simultanées (2022-23) incarne la réunification familiale au travers d’une action simultanée en trois actes, mis en scène par Daza-Paris au Canada et par son frère au Venezuela, surmontant la distance et les restrictions de voyage imposées par la crise géopolitique du Venezuela explosé entre le président Nicolás Maduro et son opposant Juan Guaidó en 2019. Les interventions performatives suggèrent une traversée de territoires par les courants océaniques qui se tisse à partir des lettres inachevés laissés par la mère de Daza-Paris avant son décès en 1999. La délivrance des troncs de pins dans la mer évoque la rencontre entre témoins humains et plus qu’humains pour guérir et restaurer le bien-être collectif mettant en œuvre une “assemblée de solidarité” à travers les continents nord et sud-américains.

 

Au-delà des frontières des pratiques artistiques traditionnelles, de la convergence de l’art, des droits humains et de l’Anthropologie pour l’Ecozoïque (8), Daza-Paris propose une méthode de recherche unique ancrée dans le mouvement improvisé et l’engagement kinesthésique inspiré par son parcours en danse contemporaine et pratiques somatiques. Ainsi, elle dévoile un rituel du deuil, autant intime que collectif, des disparus, des corps jamais retrouvés, par des gestes profonds dans leur simplicité, qui embrassent les traces intangibles de la vie et de la mémoire, remettant en question les limites de ce qui est vu et de ce qui est ressenti. Il s’agit de mettre en action d’autres manières d’être dans le monde par une écologie corporelle qui propose l’élargissement radical de la conscience en sollicitant une histoire collective du vivant.

 

Nuria Carton de Grammont

* Je remercie Klaudia Gąsecka et Antoine Bertron pour l’échange d’idées et les corrections dans la rédaction de ce texte.


1_ Texte original de l’espagnol : “Dicen que ahora viven en tu mirada. Sosténlos con tus ojos, con tus palabras. Sosténlos con tu vida, que no se pierdan, que no se caigan. Escucha, escucha, otra voz canta.” Daniel Viglietti, Otra voz canta.

2_ Texte original de l’espagnol : “Huellas cansadas tienen tus pasos, pero aunque el río sea muy manso poquito a poco se enfrenta al mar.” Alí Primera, Canción mansa para un pueblo bravo.
3_ Syntonie.
4_ Espagnol : un agriculteur originaire d’Amérique latine.
5_ Daniel Ruiz-Serna, When Forests Run Amok, Durham: Duke University Press, 2023.
6_ Fromager, un arbre géant de la famille des Malvaceae.
7_ Quelqu’un qui se bat au sein d’une armée non officielle, généralement contre
une armée ou une force de police officielle.
8_ Dans une époque de crise écologique anthropique marquée par un changement climatique sans précédent, l’anthropologie de l’Écozoïque questionne les cadres éthiques centrés sur l’humain qui font partie intégrante de la vie moderne et reconnaît que la vie humaine n’est qu’une partie des processus planétaires vivants plus vastes qui nous soutiennent, comme l’a définit le penseur Thomas Berry. Réference : https://www.l4ecozoic.org/anthropology-for-the-ecozoic.

À PROPOS DE L'ARTISTE

"En tant qu'artiste basée sur la recherche, ma pratique développe de nouveaux cadres pour étudier l'histoire non officielle et la disparition politique dans le Venezuela de l'époque de la guerre froide, en tant qu'expérience ressentie. Cette exploration se fait par le biais d'un processus que j'appelle "poétique forensique" et qui découle de ma formation en danse Skinner Releasing et du savoir autochtone. Grâce à des méthodes d'attunement faisant appel à la perception kinesthésique et au savoir autochtone, je propose que mon processus de poétique forensique contribue au nouveau domaine de l'"esthétique d'investigation" identifié par Matthew Fuller et Eyal Weizman, chercheurs au sein de l'agence Forensic Architecture.

La poétique forensique réunit la poiesis du grec ("faire" ; "faire naître quelque chose qui n'existait pas auparavant") et la forensis du latin (discussion publique ; "concernant le forum"). Ce processus considère les êtres "plus-qu'humains" - entendus ici dans le cadre du discours autochtone - comme des témoins de la violence d'État. On en déduit que le plus-qu'humain a un pouvoir (Kichwa 2015, Kohn 2013) et participe donc à une " politique du témoignage " (Derrida 2000).

Le traitement et l'interprétation de sources primaires, d'essais personnels, de documents d'archives et de témoignages poétiques créent, sous forme textuelle et en images animées, des contre-récits à l'histoire officielle. J'expérimente la temporalité, l'art participatif et les interventions performatives de longue durée sur le terrain en tant que stratégies décoloniales. En m'inspirant des méthodologies de décolonisation (Tuhiwai Smith 2021), je suggère que les " formes improvisées d'assemblage " (Butler 2015), mises en œuvre avec des participants humains et plus-qu'humains, peuvent exercer une action politique avec un potentiel émancipateur pour subvertir les structures de pouvoir qui nient la vie et imposent la disparition.

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Livia Daza-Paris est une artiste interdisciplinaire et une chercheuse canadienne d'origine vénézuélienne. 


Elle est diplômée en développement économique communautaire, en technologies numériques et en design artistique de l'Université Concordia et détient une maîtrise en beaux-arts de l'Institut Transart. Elle a obtenu son certificat d'enseignement en Skinner Releasing (Dance) Technique en 2001 sous la supervision de Joan Skinner.

 

Elle termine actuellement son doctorat en recherche basée sur la pratique à l'Université de Plymouth, au Royaume-Uni. Ses écrits sont publiés dans des revues telles que Performance Research, VIS NORDIC, THEOREM et Project Anywhere. Le travail de Daza-Paris a été présenté dans des lieux renommés tels que le Dance Theater Workshop et le PS 122 : Dance Theater Workshop et PS 122, NYC ; DuMaurier Theatre, Toronto, Ruskin Art Gallery, Cambridge, UK ; Tanzquartier Vienna, Autriche ; Alchemy Film Festival, Écosse ; Museo de Arte Contemporáneo, Caracas ; Optica Gallery, SBC Gallery, et le Musée des beaux-arts de Montréal à l'invitation de MAADI.

https://www.poetic-forensics.org/

À PROPOS DE LA COMMISSAIRE

Nuria Carton de Grammont est docteure en histoire de l’art (Concordia, 2012). Ses recherches portent sur les identités diasporiques, les stratégies participatives et la pluralisation dans le domaine des arts.

 

Elle a co-commissarié l’exposition «Gilberto Esparza. Plantas Autofotosintéticas» à la Galerie de l’UQAM en 2017, et par la suite à collaboré à l’installation «Personal belonging/Objetos personales» de Maria Ezcurra, présentée en 2018 au Musée des Beaux-Arts de Montréal. En janvier 2020, elle a commissarié l’exposition «Uno, dos, tres por mí y mis compañeras» au centre OPTICA.

 

Nuria Carton de Grammont a également un vaste répertoire de publications, parmi lesquelles «Politics, Culture and Economy in Popular Practices in the Americas», codirigée avec Eduardo González Castillo et Jorge Pantaléon (2016). En 2023, elle a coécrit avec Laura Delfino «Un happening dans le Musée: pluralisation et appartenance institutionnelle», pour les Cahiers de l’OMEC.

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