Ce que nous ne pouvons voir
Hua Jin
et
Rafael Y. Herman
22.03.2024 - 11.05.2024
Commissariée par Art/Around
Hua Jin et Rafael Herman partagent un lien profond avec la nature et sa contemplation est leur principale source d'inspiration. Leur pratique visuelle, basée sur la réflexion solitaire, utilise la vidéo et la photographie pour illustrer les phénomènes divers et souvent imperceptibles du monde écologique. Les œuvres sélectionnées pour cette exposition donnent un aperçu de la présence impénétrable mais omniprésente de la pollution atmosphérique et lumineuse dans les zones urbaines et au-delà.
La couleur de l’air de Hua Jin nous accueille dans un océan de couleurs. À première vue, les photographies présentent une image indistincte : une progression de dégradés. Cette série a été inspirée par des conversations sur la pollution que Hua a engagée avec des artistes vivant et travaillant dans la région de Su Zhuan, à la périphérie de Beijing, lors d'un programme d'échange sino-canadien en 2017. Au milieu de la mauvaise qualité de l'air de la région, les artistes locaux ont exprimé leur frustration quant à la destruction leur commune par le gouvernement pour un développement futur. Les luttes existentielles des artistes et l’intense niveau de smog dans la ville semblaient être mêlés dans une atmosphère dense qui rendait la respiration difficile, comme s’ils étaient tous interconnectés. C’est cette rencontre qui a suscité l’intérêt de Jin pour le sujet de la pollution atmosphérique.
Consciente de la portée mondiale de ce problème environnemental, Jin a recherché, à son retour au Canada, des sources d'information en ligne pour étudier la manière dont elles représentent la pollution de l'air. Jin a identifié dans le monde entier plusieurs images de villes congestionnées, oppressées par un ciel brumeux et multicolore, notamment au Canada, en France, au Pakistan et au Royaume-Uni. Avant même de lire les légendes décrivant les illustrations, elle a été séduite par les nuances chromatiques de l'air. Ces images, accessibles en ligne, sont à l'origine de La couleur de l’air. Jin a supprimé tous les éléments de présence humaine des compositions. En l'absence de toute trace humaine, les images distillées magnifient, au contraire, la présence inquiétante de la pollution dans l'atmosphère. Jin a ainsi transformé ce brouillard synthétique en pure abstraction.
Les deux artistes utilisent de grands formats horizontaux et des combinaisons qui résonnent dans l'espace. Les œuvres de Herman peuvent être mystifiantes. Il s'aventure dans la nature pour trouver des endroits où la pollution lumineuse est faible. Restant immobile durant des heures, il fixe l'obscurité et capture des choses qu'il ne peut pas encore voir - elles ne seront révélées qu'une fois l'image traitée. Herman a inventé son propre processus scientifique, en développant une formule mathématique qui calcule l'exposition sans lumière.
Comme Jin, il recherche une dimension alternative. Ses images défient notre sens de la vision avec des scènes de non-lieux et des effets chromatiques éblouissants, incitant les spectateurs à s'engager activement dans la poursuite d'une réalité inconditionnelle.
En effet, Herman propose une voie d'accès à l'épiphanie. Il veut transmettre ses expériences de révélation dans l'obscurité ; même s'il ne voit pas le lieu réel, l'image qui en résulte lui permet, ainsi qu'à nous, de le découvrir. Nous sommes transportés ailleurs, au-delà du quotidien. Ce sont ses offrandes, non pas pour l'œil, mais plutôt pour le cœur, et c'est pourquoi elles doivent être ressenties, et non pas vues.
Jin offre également un chemin non conventionnel vers l'illumination à ceux qui prennent le temps de regarder. Tournée en silence pendant 15 minutes alors qu'elle participait à la résidence thématique Wanderlust, Skaftfell en Islande, sa vidéo, Turquoise, nous attire vers l'inconnu, dans une utopie vierge - avant la pollution -, contrastant profondément avec son discours dans La couleur de l'air.
Au début, nous ne discernons pas ce que nous regardons, mais cela nous séduit. Si nous restons immobiles et que nous observons l'image, de petits détails apparaissent. Nous voyons des oiseaux traverser l'image en volant et des poissons briser la surface de l'eau. Ces moments sont presque imperceptibles, mais ils définissent la scène et nous donnent un aperçu d’éléments que nous ne remarquerions pas normalement. Changeantes et subtiles, les légères ondulations définissent le mouvement. C'est un exercice de méditation que Jin partage avec nous. Tourné à partir d'une vue plongeante sur un volcan, Turquoise est une ode à la nature intacte et à un moment de bonheur. C'est une élégie silencieuse au monde naturel qui nous entoure.
Herman aspire lui aussi à un monde préservé. Il a grandi dans le désert, dans l'étendue et le confort paradisiaque de la voûte céleste. La pollution lumineuse touche environ 83 % de la population mondiale, de sorte que les personnes qui vivent sous un ciel pollué ne verront jamais la Voie lactée. Herman n'a pas peur de l'obscurité. Comme Jin dans sa solitude, ses œuvres incarnent une connexion et une admiration de la nature. Il se sent en communion et transmet un message universel et transcendantal. Mare XII et Purpura Affectum représentent des lieux inconnus car, pour Herman, ils n'ont pas d'importance. La lumière et l'obscurité, en tant qu'éléments physiques, sont au cœur de sa pratique. L'artiste a une curiosité métaphysique pour les couleurs et veut comprendre ce qu'elles sont réellement lorsqu'il n'y a pas de lumière pour les définir. Saisissant quelque chose qui n'est pas encore là, Herman fait un acte de foi en allant au-delà de la vision, dans l'insondable.
Les deux artistes expriment une tension subtile : tout en dénonçant l'impact de la pollution, ils révèlent la puissance de la nature. Ils nous confrontent à notre regard conditionné et nous incitent à regarder plus loin, au-delà des apparences. Pris dans leur ravissement, nous baignons dans leurs champs de couleurs et voyons enfin ce que nous ne pouvions voir.
Art/Around
À propos des commissaires
Art/Around
Derrière l’exposition Ce que nous ne pouvons voir se cachent deux commissaires audacieux qui ont une passion de longue date pour les arts, les artistes et leur engagement social.
Préoccupés des problèmes mondiaux et de la justice sociale, ce duo dynamique s’engage à mettre en lumière les talents émergents du monde entier qui sont guidés par une forte composante éthique; des visionnaires qui aspirent à apporter un changement positif dans la société.
Complémentaires en termes d’intérêts et d’expertise, les commissaires ont fait converger leurs énergies et ont opté pour l’anonymat afin que les artistes puissent retrouver leur agence et leur représentation en tant que créateurs.
À propos des artistes
Hua Jin
Hua Jin est une artiste visuelle née en Chine qui vit et travaille à Montréal, au Canada. Elle est titulaire d’une maîtrise en beaux-arts (photographie) de l'Université Concordia à Montréal et d’un baccalauréat en beaux-arts (photographie) de l'Emily Carr University of Art + Design à Vancouver.
Ses médiums vont de la vidéo, à la photographie et au dessin, et son travail se déploie souvent dans des installations à grande échelle. Elle a participé à de nombreuses expositions individuelles et collectives au Canada, en Chine, aux États-Unis, au Mexique, en Hollande et en Islande. L'une de ses œuvres est exposée en permanence au Musée des beaux-arts de Montréal et ses photos grand format ont été exposées à Dubaï, aux Émirats Arabes Unis, dans le pavillon canadien de l'EXPO 2020. Jin a bénéficié de plusieurs résidences et a reçu plus de 30 prix et bourses prestigieuses, dont le premier Prix de la diversité culturelle en arts visuels décerné par le Conseil des Arts de Montréal. Les œuvres de Jin figurent dans des collections privées et publiques.
En tant qu'artiste sino-canadienne, la façon de penser de Jin est intrinsèquement enracinée dans la culture et la philosophie orientales. Elle s'intéresse à la nature et aux paysages. Comme un ancien taoïste, Jin se consacre à la contemplation de la "voie" de l'être. Elle observe la nature avec curiosité et est fascinée par les systèmes cachés qui propulsent les rythmes dans le cercle de la vie. En visualisant la diversité de la vie naturelle, le flux rythmique des événements, et les événements les plus récents dans le monde écologique, Jin vise à rendre la force cachée et à représenter l'énergie invisible. Les œuvres de Jin contemplent les idées de permanence et de changement, du temps qui passe et de la qualité évanescente de l'existence. Ses pratiques artistiques se concentrent sur le côté spirituel, commémoratif et méditatif de la nature, ainsi que sur les histoires humaines qui y sont liées.
Rafael Y. Herman
La pratique de Rafael Yossef Herman se caractérise par une curiosité métaphysique et une recherche sur la lumière en tant qu'élément physique et protagoniste de l'espace-temps. En capturant l'imperceptible et l'imaginaire, les réalités recréées par Herman examinent les limites du surréel et nous transportent dans un lieu qui se situe en dehors de la portée de vue quotidienne, engageant le spectateur avec ce qu'il ne peut pas voir dans l'obscurité de la nuit, utilisant l'absence comme vocabulaire visuel et rappelant le défi environnemental de la pollution lumineuse.
Herman a grandi à Be'er Sheva en étudiant la musique classique et les arts depuis l'âge de six ans. Il a obtenu un diplôme d'économie à l'université de Tel Aviv et a étudié la peinture et la photographie au Mexique et au Chili, avant de s'installer en Europe. Alors qu'il vivait en Italie, Herman a été invité en tant qu’artiste par la Ville de Paris, où il vit actuellement.
Les œuvres de Rafael Yossef Herman font partie d'importantes collections publiques et privées internationales, notamment le musée d'art de Tel Aviv, le musée Salsali de Dubaï et le MAXXI, et il a présenté des expositions individuelles au Palazzo Reale, à Milan (2006), au musée MACRO au pavillon Testaccio, à Rome (2017), au musée Ludwig, à Budapest (2018) et, à l'été 2022, à la Fondazione Sant'Elia, au Palazzo Sant'Elia, à Palerme.